Retour au listing

Le blog maPlatine.com

Interview ‘coup de cœur’ : Arnault et Grégory du groupe VARSOVIE

Arnault et Grégory du groupe VARSOVIE

Chroniqué dans nos disques du mois de Mai et Juin 2018, nous avons souhaité vous faire découvrir le groupe VARSOVIE ! Les membres du groupe, Arnault Destal et Grégory Catherina, ont eu la gentillesse de répondre à nos questions et de nous en dire plus sur leur parcours.

 

 

Le parcours dans la musique

– Quel est votre parcours dans la musique ?

Grégory Catherina : J’ai commencé la guitare en 94 grâce à un ami qui jouait depuis peu. On s’est fait la main sur des classiques (Maiden, Metallica, U2, The Doors…) pour apprendre à jouer ensemble. Quatre ans plus tard, Forbidden Site me recrutait en tant que guitariste sur leur dernier album. Après le split, on a fondé Varsovie en 2005 avec Arnault. Entre temps, je me suis mis au chant.

Arnault Destal : J’ai joué pour la première fois sur une vraie batterie vers 17 ans, puis j’ai intégré un groupe de reprises navigant entre les Sisters of Mercy, Cure et New Model Army. Le répertoire était bon, mais je n’y trouvais aucun intérêt. Six mois plus tard, après une rencontre décisive, je fonde Forbidden Site en 94 – un groupe de Black-metal avant-gardiste qui sortira un EP et deux albums assez marquants dans la scène d’alors.

Quand le duo créatif dont je faisais partie a explosé, j’ai continué de jouer avec Greg, mais de loin en loin, sans trop y croire. L’expérience avait été trop intense pour que je puisse envisager de m’investir de nouveau et je ne voulais pas continuer par défaut. Il aura fallu attendre 2005 pour que je me sente prêt et que la flamme revienne. L’avantage, c’est que ce temps qu’on aurait pu croire perdu a permis de se tenir à une ligne et aussi de forger une amitié. Je crois que nous gardons le cap depuis.

 

 

– D’où vous vient cette passion ?

G.C : Elle m’est venue très jeune, avec la découverte de quelques groupes majeurs des années 80 et une fascination pour les sons électriques sortant du commun. Ceci m’a hanté un moment, avant que je ne me mette concrètement à la guitare.

A.D : Certainement en réaction à une enfance assez pessimiste. Le seul moyen de s’offrir un horizon à peu de frais finalement, lorsque l’idée même d’horizon semble une vaste blague. Pour ça, la littérature et la musique ont été complémentaires. Instinctivement, je suis très vite allé à la recherche de productions underground sombres, décalées, atmosphériques… Adolescent, le post-punk et le black-metal ont été mes deux grands terrains de chasse, mais pas seulement. La musique baroque aussi.

 

– Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de créer votre groupe de musique ?

G.C : Le fait d’appartenir à la musique. L’envie d’honorer l’héritage musical qui m’a marqué. La musique vous choisit. Pas l’inverse. Elle vous façonne, vous renvoie à la réflexion et à la découverte de tant d’autres choses. Je pense à la littérature, au cinéma, à la peinture… Vous prenez des ponts et enjambez des clôtures.

A.D : Peut-être le sentiment que j’avais quelque chose à dire, en pensant naïvement que d’autres se retrouveraient à travers certaines visions, des paysages qui me hantent, des colères, des obsessions, des frustrations, des moments de grâce aussi. Et aussi, devant le dégoût que m’inspirait le monde à l’époque, l’envie de monter quelque chose de l’ordre de la conspiration, une alliance, un commando fraternel, à contre-courant, œuvrant en marge et partant sur scène comme à l’assaut. Cette idée primitive reste. En fond.

 

– En tant que musiciens et compositeurs, quelles sont vos principales influences ? Autant sur le plan musical que littéraire ?

A.D : Les listes d’écrivains sont toujours un peu assommantes, mais en rebondissant sur ce qui a été dit plus haut, toute œuvre sincère et profonde peut nous interpeller. Pour ce qui est des références précises, elles sont parfois flagrantes dans nos albums, sinon il faut oser se perdre entre les lignes, quitte à y trouver des choses auxquelles nous n’avons pas pensé.

On y croise de façon explicite (puisque les textes les évoquent directement) les fantômes de Sergeï Essenine, Jacques Rigaut, Sunsiaré de Larcône et Nimier, Cesare Pavese, Francis Scott Fitzgerald, Schnitzler, Nerval, Tolstoï, Mishima et quelques autres…

On peut dire en vrac que des artistes comme The Sound, Joy Division, Siekiera, Alain Bashung, Bauhaus, Nick Cave and the Bad seeds, les polonais de 1984, les premiers Noir Désir, Marquis de Sade, Murat ou And Also the trees ont été inspirants, mais comme des dizaines d’autres… C’est parfois plus l’atmosphère qui nous inspire, indirectement, que la façon de jouer ou les gimmicks…

 

 

L’histoire de VARSOVIE

– Votre groupe se nomme donc VARSOVIE. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

G.C : Nous avons tranché pour Varsovie en traduisant des noms de groupes étrangers que l’on aimait, pour voir, et parce que le nom que nous avions choisi précédemment semblait imprononçable… À un moment c’est tombé sur Warsaw, la première version de Joy Division. En plus du clin d’œil à un groupe essentiel, le nom nous a tout de suite paru évident, car nous venions de mettre sur les rails un morceau évoquant l’insurrection de la ville en 1944…

A.D : Il y a dans le nom un mélange d’exotisme froid, d’étrangeté, de déchirement, mais aussi quelque chose de profondément français et de familier – ça cadre assez bien finalement.

 

– Pouvez-vous nous en dire plus sur l’histoire de VARSOVIE ?

G.C : Je suivais le premier groupe d’Arnault depuis un moment sur Grenoble et lorsqu’ils ont démarché pour trouver un second guitariste en été 1998, j’ai immédiatement candidaté. J’ignore pourquoi, mais je sentais au fond de moi que j’allais être pris. Mais le groupe allait sur sa fin… Les tout débuts de Varsovie se sont donc faits au sein du chaos décrit plus haut. Nous avons tout de suite fait beaucoup de concerts dans notre ville, à l’époque où c’était encore possible. La scène étant essentielle pour nous.

Après la sortie de notre EP « Neuf millimètres » en 2006, on a commencé à beaucoup tourner en France et en Europe. Suivront les albums « État Civil » (2010), « L’Heure et la Trajectoire » (2015) chez Infrastition et Those Opposed Records et « Coups et Blessures » sorti cette année chez Sundust Records.

 

– Black metal, post-punk, rock… Comment définiriez-vous le style musical de VARSOVIE ?

A.D : Du rock entre chien et loup qui tire sur le post-punk, et inversement.

 

– En Mai 2018, vous avez donc sorti votre troisième album intitulé « Coups et Blessures ». Comment s’est passé le processus de création ?

A.D : Après avoir signé chez Sundust Records, nous avons calé une session au Drudenhaus studio dans la campagne bretonne avec Benoît Roux pour l’automne 2017. C’est aussi là que nous avions enregistré les deux précédents, donc nous connaissions bien la maison – des champs, de la brume, des vaches, des chats, des vieilles pierres et trois semaines un peu coupées du monde…

 

Disque vinyle VARSOVIE - Coups et Blessures

Il a été composé de la même manière que les précédents, avec son lot de doutes, de tourments parfois, mais aussi avec quelques illuminations qui, à elles seules, valaient la peine. Comme d’habitude, nos morceaux viennent de différentes époques. Nous nous accordons quelques surprises en studio (des bonnes si possible, parce que les mauvaises arrivent aussi…) notamment question arrangements, overdubs et effets, mais généralement tout est prévu à l’avance. En tout cas, je crois que nous nous rapprochons de plus en plus de notre son rêvé.

 

– Comment vous organisez-vous dans le groupe ?

A.D : Greg s’occupe de trouver tout ce qui est riff chez lui ou en impro avec moi à la batterie. J’enregistre, puis cherche les lignes vocales et j’écris les paroles. Greg creuse ensuite les riffs validés de son côté. Je lui transmets des démos voix et une fois qu’il s’est imprégné du truc, on teste et on cherche des idées d’arrangement. On peut aussi partir d’une basse, d’un rythme… Tout est possible, mais le processus global reste identique. Parallèlement, je gère les à-côtés… Image, management et compagnie.

 

– Qu’est-ce qui vous a inspiré pour ce troisième opus ?

A.D : Quand nous avons composé le morceau « Coups et Blessures », nous avons immédiatement su que ce serait la chanson titre. Comme je l’ai souligné au lancement du clip du même nom, c’est une référence aux coups et aux blessures que l’on encaisse ou que l’on s’inflige, avec l’idée de les traiter avec un certain détachement, comme s’il ne s’agissait plus de les éviter, mais seulement de les répertorier ; une collection d’événements amenés à se reproduire avec plus ou moins d’intensité. Il y a aussi l’idée de faire face, de continuer malgré les fêlures, malgré la perte, quelle qu’elle soit. Un mélange de froideur, de mélancolie et de violence contenue qui représente bien Varsovie et cet album.

 

– Vous venez de sortir un nouveau clip. Pouvez-vous nous raconter le tournage, les choix de mise en scène, etc. ?

A.D : Par l’entremise de Sundust, le clip de Killing Anna a été réalisé par Guilherme Henriques au Portugal, avec l’actrice Teresa Queirós. Comme pour les précédents clips, j’ai traduit les textes, donné des lignes directrices, ainsi que des clés atmosphériques et de vagues indications. Le but étant aussi que le réalisateur s’empare de notre morceau et y ajoute sa propre vision, que ce ne soit pas seulement un travail de commande, mais une création nouvelle à partir d’une création. Il fallait quelque chose de nocturne, de dérangeant, avec l’esprit d’un Film noir et une tension croissante s’enroulant subtilement autour de la musique.

Il y a dans ce morceau la notion d’une revanche froide, d’un vertige inquiétant, avec des renvois à la mort d’Anna Karénine. Quelqu’un marche dans les pas d’une autre personne, peut-être un double. Quelque chose de tragique approche.

 

 

– On remarque également qu’il y a toujours une représentation féminine sur les pochettes de vos LPs. Pourquoi ce choix ?

A.D : C’est ainsi depuis notre démo et ça s’est imposé naturellement. Ces femmes sont allégoriques la plupart du temps. Elles sont à la fois une saison mentale, un état d’esprit, une idée, une façon d’être au monde, une manière de se tenir face à l’abjection. Ça rejoint un peu certaines idoles anciennes et aussi ces figures que l’on voyait sur les affiches Art Nouveau.

 

Pochettes albums du groupe VARSOVIE

 

– Entre les tournées en France et à l’étranger, les enregistrements, etc… Comment arrivez-vous à tout gérer ?

G.C : Il faut se consacrer à ça comme un sacerdoce. Faire des choix, avoir des priorités, ce qui implique des sacrifices parfois.

A.D : Pour ce qui est de la composition, des concerts et des enregistrements, c’est un choix. C’est ce que nous voulons faire. C’est une question de temps à dégager au-delà de nos contraintes quotidiennes.

Pour le reste, j’entends par là la promotion, les requêtes, l’organisation, l’imagerie et j’en passe, j’avoue qu’il m’arrive à certains moments de saturer devant la nécessité d’être ultra polyvalent, réactif ou devant certaines attitudes aberrantes, notamment dans tout ce qui est démarchage. Je ne me sens pas toujours adapté, ou adaptable disons. En vérité, l’espace-temps dédié à la musique pure est très restreint. Je passe plus de temps à m’occuper des contours qu’à pouvoir composer, écrire ou ne serait-ce que faire de la batterie pour la forme. Le temps créatif est un luxe.

Évidemment, nous ne sommes pas les seuls dans ce cas, ce n’est pas une complainte, mais je pense que pas mal de gens ne se rendent pas compte du décalage : techniquement, notre activité centrale est celle pour laquelle nous pouvons accorder le moins de temps. Heureusement, depuis que nous sommes chez Sundust, il y a un vrai soutien de ce côté-là. Même psychologiquement, ça rend les actions moins vaines et ça permet de desserrer un peu les dents.

 

 

VARSOVIE et le vinyle

– En tant que groupe de musique, comment avez-vous vécu la chute des ventes de CD et le retour en force du vinyle ?

G.C : Mal. De moins en moins de points de ventes consacrent de l’importance à la rareté, l’étrangeté. Ce qui fût tout naturel de se procurer disparaît et beaucoup d’albums passent pour des disques à part ou des ovnis alors qu’ils ne l’étaient pas, ou moins, il y a 25 ans. Pour le vinyle c’est une bonne chose.

A.D : Je ne dirais pas que la nature a horreur du vide, puisque ce genre de phrases fatigue tout le monde, mais au-delà de cet effondrement, il y a une chute de l’auditeur tout court. Il n’y est pour rien d’ailleurs, c’est le contexte qui a changé. Écouter un album, quel que soit le support, demandait un minimum d’investissement avant la génération YouTube et Cie. Et le côté tout, tout de suite de la diffusion.

Je me souviens que dans les 90s, encore, chaque achat d’album était pensé en amont et impliquait forcément un risque (fatalement, ce risque variait en fonction du pouvoir d’achat…) mais c’était aussi excitant, en cas de « réussite », d’autant que personnellement je ne connaissais aucun proche qui s’intéressait aux musiques que je recherchais.

Il fallait se débrouiller sans qu’on nous tienne la main, avec des fanzines, d’obscures émissions de radios locales, les distros par correspondance et suivre son instinct pour faire le tri. L’évolution était lente. La quête avait un sens. Parfois une pochette ou un simple nom s’imposait, on tentait… Si ça ne marchait pas aux premiers accords, avant de se dire qu’on s’était planté ou qu’il s’agissait d’un album de merde, on faisait quand même l’effort d’écouter vraiment les morceaux, ce qui paradoxalement donnait plus de chance aux musiques pointues, profondes, demandant un peu d’attention.
Je ne veux pas jouer au vieux de la vieille et je ne dis pas que c’était mieux avant, puisque je suis bien content de profiter aussi de découvertes à portée de clics, mais c’est un simple constat. Moins de passion, trop de productions. Sans compter qu’il faille tout prémâcher, sans compter la péremption éclair des albums, sans compter tous ces groupes préfabriqués endossant les panoplies de tel ou tel style du jour au lendemain, s’exécutant comme des petits génies scolaires sans âme, ce qui fatalement n’encourage pas des écoutes « respectueuses », puisque ce genre de formations-packagings se foutent littéralement des auditeurs…

Du coup, en retour, on zappe, on cherche les éventuels tubes et on oublie… On ne distingue plus ce qui est sincère ou non. Tout est mis dans le même sac. Une quantité de données accessibles sans effort, ça change forcément le rapport à l’écoute. La révolution est presque de l’ordre de celle qui a dû avoir lieu lorsque l’on a pu commencer à graver des musiques à usage commercial. Le rapport change forcément lorsqu’une œuvre peut s’écouter à l’infini, chez soi…

Bref, peut-être que le retour du vinyle va un peu enrayer cette sinistre dynamique – à croire qu’il y a une demande en ce sens, une lassitude de l’écoute fast-food, en espérant que cela ne s’inscrive pas dans une sorte de revival épisodique. La démarche même du vinyle s’inscrit dans une autre dimension, quasi rituelle, et implique d’y consacrer du temps… Tant mieux.

 

– Etes-vous vous-même adeptes de vinyles ?

G.C : Oui. Je prête beaucoup d’attention au vinyle et tente d’en trouver quand l’occasion se présente.

A.D : C’est le moment de l’interview où j’ai l’impression d’être un imposteur, n’ayant pas vraiment eu de culture vinyle. Adolescent, il n’y avait pas de platine vinyle à disposition, le seul moyen d’écouter des albums était les cassettes. J’en ai épuisées pas mal. Certaines vivaient mal les écoutes intensives. Puis le laser est arrivé. Mes premiers disques étaient donc des CDs. C’était je crois « The Sky’s gone out » de Bauhaus et « Into Darkness » de Winter, autour de 1990… Les deux pochettes étaient énigmatiques et en noir et blanc, ça n’avait rien à voir, mais pour moi ça cadrait.
Je suis venu aux disques vinyles beaucoup plus tard, même si ces objets m’ont toujours fasciné et que je ne me vois plus sortir un album sans sa version. Maintenant, ironiquement, c’est pour lire les cassettes que je n’ai plus rien, même s’il m’en reste encore un stock.

 

– Sur quel modèle de platines vinyles les écoutez-vous ? De quoi est composé votre système Hi-Fi ?

G.C : J’écoute mes disques vinyles sur du matériel de base rudimentaire, mais solide. Deux enceintes Philips prises d’une chaîne Hi-Fi des années 80. Un ampli Technics et une platine vinyle Pro-Ject Audio Systems.

A.D : Sur une platine vinyle portable dont j’ai oublié la marque, mais qui sonne très bien à mon sens, d’autant que c’est un cadeau qui m’est cher – la plupart du temps reliée à une chaîne Technics qui, elle aussi, fait son travail.

 

platines-vinyles-VARSOVIE

 

– Nous avions chroniqué votre dernier album dans nos disques du mois de Mai et Juin 2018. A votre tour, quels seraient vos deux vinyles du moment ?

A.D : Rien de neuf. Deux albums que j’avais pour l’un en cassette et l’autre en CD et qu’on m’a offert récemment en vinyle : « Reign in Blood » de Slayer (1986) et « Bleu Pétrole » d’Alain Bashung (2008).

G.C : « Tocsin » de X-mal Deutschland et « Shock of Daylight » de The Sound.

 

– Un dernier mot à ajouter pour ceux qui vous découvriraient ?

A.D : Merci à vous, pour votre travail et votre soutien, et merci aux lecteurs d’avoir tenu jusque-là 🙂